Il y a des moments où on peut faire des belles rencontres.
On rencontre des gens qui deviennent importants pour nous. Des personnes qui nous apportent une pensée originale, qui nous forgent un point de vue, qui nous aident à passer un moment compliqué.
J'ai rencontré des personnes qui m'ont beaucoup marqué. De ce professeur de grec ancien qui m'a donné envie de découvrir les textes dans les langues d'origine, à cette amie qui m'accompagne encore, dès que j'ai besoin d'aide.
Mais parfois, ces rencontres sont un peu spéciales.
Je ne suis pas un gros joueur de jeu vidéo. Je préfère les livres ou les jeux de société. Mais parfois, je me penche sur un jeu vidéo... et je mets des années à le finir.
Une rencontre originale
Or, je suis tombé sur certains titres de ce média qui m'ont impressionné, choqué, mais surtout qui m'ont fait du bien.
Le dernier en date est Gris. Un petit jeu, très beau avec son design minimaliste. Un jeu simple, beau, avec une belle musique... que demander de plus ?
J'avais connu ce jeu via une vidéo qui en faisait une critique nuancée. Mais surtout une critique du point de vue des émotions ressenties. Donc je connaissais le fonds de ce jeu.
Pourtant, je l'ai lancé.
Je ne vais pas vous faire une critique de ce jeu, ni vous expliquer ce que j'ai aimé ou pas. Cette page n'est pas un lieu pour ça.
Mais alors pourquoi en parler ?
Ben pour la fin. OK Je vais spoiler la fin du jeu. Mais c'est pour les besoins de l’explication.
Si vous souhaitez faire ce jeu sans avoir plus d'information, allez-y ! c'est un très bon jeu, court (même pour moi qui l'ai fini en 2 sessions de jeu...) et prenant.
Si vous êtes arrivé jusque-là, c'est que, soit vous connaissez le jeu, soit le spoil ne vous fait pas peur.
Un jeu vidéo pour parler du...
Bons donc Gris parle... du deuil.
Et tout participe à vous faire expérimenter un deuil. De la cinématique mélancolique, au personnage qui perd sa voix, à la reconstruction et à l'acceptation.
Ce jeu m'a bouleversé et je n'ai aucune honte à dire que j'ai fini ce jeu en larme.
Ce jeu est une bombe émotionnelle. Qui nous prépare doucement à la vérité : il faut accepter de laisser partir et avancer sur notre chemin. Il faut traverser la douleur et finalement l'accepter.
Dès le début, tout est là pour vous faire comprendre... sauf que l'on ne sait pas quoi.
On a la violence du premier « niveau ». Puis la décente dans les tréfonds de la Terre, dans des cavernes sombres avec juste, parfois, des raies de lumière. Jusqu'à l’ascension, les couleurs qui reviennent... Et ces statues, brisées, qui émaillent les décors. Jusqu'à cette statue qui prend vie et qui nous fait comprendre qu'il faut la laisser et partir, continuer notre chemin.
J'ai vécu pas mal de deuil cette année. Des choses différentes qui sont passées, qui m'ont marquées et que je pensais avoir laissé derrière moi. Et tout m'est revenu en tête avec cette fin très douce, très calme, mais d'une violence qui m'a fait craquer et pleurer chaudement.
Et il m'est revenu, en finissant ce jeu, d'autres titres dans le même esprit. Que ce soit Céleste, ou encore dans une certaine mesure The Last of Us, This war of mine ou Hellblade.
Mais alors pourquoi parler de jeux vidéo ici ?
C'est simple : le jeu vidéo est un média qui crée une ambiance spécifique. Si vous jouez à un jeu d'horreur, le jeu va vous plonger dans une ambiance glauque, noire, angoissante. Si vous jouez à un jeu humoristique, l'ambiance sera colorée, légère et avec une musique qui vous fera rire peut-être.
Mais les jeux vidéo servent aussi, parfois, à faire ressentir des choses. À expérimenter des situations originales et parfois fortes. Vous devrez prendre des décisions, agir selon tel ou tel aspect de la narration ou du gameplay. Et au final, vous aurez une expérience unique.
Et certains jeux vidéo ont le projet assumé de vous faire travailler sur vous-même. En expérimentant des choses comme les étapes du deuil, comme la dépression ou des choix injustes que vous devrez faire, car il n'y a pas de bonnes réponses parfois. Et c'est en cela que ces jeux peuvent aider.
En expérimentant les étapes du deuil, même si c'est en filigrane, même si l'on comprends le sens de chaque pièce du puzzle qu'à la fin, on travaille sur ce deuil. On avance sur ce moment de notre vie et on en ressort grandis.
Mais ce que je dis sur ce jeu est valable pour beaucoup de médias. L'art véhicule aussi des émotions et peut faire réfléchir. La lecture aussi peut vous aider et, à travers un roman, peut vous faire vivre une situation dont vous avez besoin. De même un film peut être une métaphore de la dépression (oui je parle de cette perle de cinéma d'animation qu'est Vice Versa!)
C'est le propos exposé, à ma connaissance, pour la première fois par Aristote : la catharsis. Le fait de vivre quelque chose par procuration et d'en ressentir une émotion qui nous fait travailler sur ce thème. On expérimente une chose et cela nous bouleverse au point d'avancer sur cette chose.
Dans l'optique de développement personnel, ces médias sont donc une porte vers une évolution de soi. Au détour d'un jeu, d'un livre ou de musique, on nous parle de deuil, de dépression, de maladie mentale. Et cela nous permet d'y porter attention. Comment le personnage gère sa dépression ? Et, finalement, quelle est ma position vis à vis de MA dépression ? Ce personnage passe cet obstacle en accomplissant tels actes... Finalement, serait-ce, pour moi, un moyen de passer une situation qui s'y rapproche ?
Dans la multitude des problèmes que nous rencontrons dans notre vie, il y a parfois une rencontre pour nous aider. Que ce soit une personne qui nous permet de travailler dessus, un livre qui aborde le sujet de manière romancée, ou encore un jeu vidéo qui va nous faire vivre la remonté de tel ou tel personnage vis à vis d'un événement qui me parle.
Osez donc regarder ces médias, même s'ils ne vous paraissent pas habituels. Osez comprendre ce que vous lisez, voyez, entendez, expérimentez via un jeu. Parfois, ces médias sont plus profonds et peuvent vous aider d'une manière que vous ne concevez juste pas encore.
Au final, c'est une phrase d'Alain Damasio, dans la Horde du contrevent (tiens encore une œuvre littéraire qui mériterait des pages et des pages d'analyse tant elle est majestueuse), qui répond à mon sentiment : « Mêlez vous à qui ne vous regarde, car lointaine est parfois la couleur qui fera votre blason ».
(illustration provenant du jeu Gris, développé par Nomada Studio et édité par Devolver Digital, 2018 / Vice Versa, Réalisé par Pete Docter et co-réalisé par Ronnie Del Carmen, 2015 / Celeste, développé et édité par Extremely OK Games, 2018)
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